Eugénisme d'Etat: la leçon suédoise

Publié le par Pierre

Alors qu'en France, on débat passionnément pour défendre le "droit à l'avortement" et le "droit de mourir dans la dignité", la Suède tente d'oublier son passé d'eugénisme d'État perpétré en toute impunité pendant presque un demi-siècle.



Selon le Conseil d'État français dans son étude sur la révision des lois de bioéthique de 2009, l'eugénisme désigne "l'ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l'espèce humaine. Il peut être le fruit d'une politique délibérément menée par un État et contraire à la dignité humaine. Il peut aussi être le résultat collectif d'une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents, dans une société où primerait la recherche de l' « enfant parfait », ou du moins indemne de nombreuses affections graves."

Dans notre passé récent, l'eugénisme d'État a pris plusieurs formes: sa perspective totalitaire du temps de l'Allemagne nazie est largement connue. Ce qui l'est moins, c'est qu'une démocratie comme la Suède a pu, pendant une quarantaine d'années, appliquer des mesures visant à purifier la race nordique et à expulser de la cité des individus sur des critères biologiques.

En 1922, un député social-démocrate dépose le premier projet de loi eugéniste. La loi sera finalement adoptée en 1934 par le Parlement du royaume et entrera en vigueur l'année suivante, sur les recommandations de l'Institut de biologie raciale d'Uppsala, qui effectuait alors des travaux sur l'hérédité de certaines tares et comportements (alcoolisme, perversité). Il s'agissait de faire stériliser des personnes attardées ou inaptes, dont le traitement coûtait trop cher à la société, au nom de la science, qui prenait le dessus sur l'individu.
Entre 1935 et 1976, 65 000 personnes, dont 93 % de femmes, ont été stérilisées. En 1934 puis en 1941, les différents gouvernements ont adopté deux lois à ces fins, autorisant cet acte d'abord pour les " déficients mentaux " puis pour tous les " asociaux " : handicapés mentaux, épileptiques, femmes ne pouvant entretenir leurs enfants, " marginaux ", Gitans, mauvais élèves, et toutes personnes perçues comme entraves au développement d'une société moderne. Le phénomène a largement dépassé le cadre de la Seconde guerre mondiale. L'enfer étant pavé de bonnes intentions, les Sociaux-démocrates suédois affirmaient éliminer les maladies et la pauvreté pour le bien-être de la société et pour construire un monde meilleur, humanitaire et profitable à tous. Pour le quotidien suédois Dagens Nyheter, la responsabilité est nationale : « Ces lois ont vu le jour dans un environnement historique particulier, avec un large consensus politique, dans une société en mutation, tournée vers le modernisme et le rationalisme. »

Le programme eugéniste a été révélé au public à la fin des années 1990, et a provoqué un véritable traumatisme dans la tranquille société suédoise, d'autant plus que le système social-démocrate scandinave était souvent montré comme un modèle de réussite économique. En 1999, le gouvernement a accepté pour la première fois d'indemniser des victimes de stérilisations forcées, jusqu'à 19 000 euros par personne. La Suède continue avec gêne et lenteur d'explorer son histoire, non sans sinistres découvertes, comme la mise à jour des réseaux de fuite de nazis venus se réfugier dans la patrie de Bergman après 1945.

L'eugénisme dénoncé en Allemagne et en Suède se poursuit encore sous d'autres formes:en France et aux États-Unis, il se manifeste par le désir d'enfant parfait et se traduit par un dépistage accéléré des embryons, afin de détecter les traces de maladies mentales, comme la trisomie 21. « En France, 92 % des cas de trisomie sont détectés (...) et 96% des cas ainsi détectés donnent lieu à une interruption de grossesse. » explique le Pr Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune, qui déplore l'existence d'« une pratique individuelle d'élimination presque systématique ».D'où ce paradoxe:dans nos sociétés libérales où de nombreux moyens sont mis en œuvre pour favoriser l'intégration des handicapés, le dépistage fait tout pour qu'ils disparaissent avant même de naître.

Publié dans Société

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